jeudi 8 février 2007

Archéologie de la Vallée de la Natagne

Lucien GEINDRE

La paisible vallée où serpente la Natagne ce petit cours d’eau qui sourd près de Bratte et se jette dans la Moselle en face de l’antique vicus de Scarpona (Dieulouard) passe pour avoir été jadis, un chemin saunaire reliant le pays de Seille à la voie romaine Lyon-Trêve. Il n’est donc pas étonnant de découvrir dans ces lieux agrestes et écartés, des vestiges antiques, soit fortuitement, soit par la recherche archéologique méthodique.

Déjà, au siècle dernier, certains “ antiquaires ” avaient signalé quelques trouvailles, ça et là, et des travaux militaires au cours de la Grande Guerre ont mis au jour des sépultures mérovingiennes jusqu’alors insoupçonnées.

Le Mont Toulon (ou Toullon) dont l’étymologie a quelque parenté avec celle de Toul (viendrait de Thol ou Tullo, la montagne, la colline ou la hauteur en celtique) est une butte s’élevant à 374 m qui, sans doute, a porté un sanctuaire gaulois ou gallo-romain. Devenu par la suite l’assiette d’une construction féodale (on y trouve des tuiles creuses enfouies dans le sol) son sommet a été fortement bouleversé par l’aménagement d’ouvrages fortifiés lors du conflit 1914-1918. Mais dans son répertoire archéologique, Maurice Toussaint signale qu’en 1788 deux habitants de Sivry, cherchant des pierres sur le flanc du mont, ont découvert à 3 pieds sous terre une stèle représentant Mercure tenant une bourse de la main droite et, de la main gauche, un caducée avec des serpents entrelacés. Le dieu avait des ailes aux pieds et se trouvait encadré par un coq et un bouc dont la barbiche était saisie par un enfant. Le petit monument portait une inscription en partie effacée :

DEO MER... (au dieu Mercure...)
TRISTUS SA
CRI

Le Comte Jean Beauprè, en 1897, mentionne les traces d’une voie antique allant à Scarpone et des vestiges de constructions gallo-romaines à Landremont et Cournault, déclare que, vers 1830, les sépultures d’une nécropole avaient été mises au jour au-dessus de Ville-au-Val (probablement au lieu-dit “ Les Tambours ” c’est-à-dire les tombeaux). Dans cette même commune, selon le Père Le Bonnetier on a découvert, près de l’église, un petit groupe représentant Cupidon prenant le sein de sa mère, et des substructions au nord du village. Le prêtre rappelait en outre que l’ancienne voie romaine allant à Scarpone suivait la rive droite du cours d’eau. A l’Est, Moivrons s’est formé au pied du col qui débouche sur la vallée de la Natagne.



On y signale aussi des substructions antiques aux Huit Journeaux ainsi qu’au Haut de Mazerule, tandis qu’à l’Ouest les mémoires d’un agent voyer font mention, en 1861, d’un dépôt considérable d’ossements à Bezaumont, du côté de Mons, et de la découverte, vers 1830, d’un cercueil en pierre, accompagné de pierres tumulaires aux inscriptions illisibles.

Il a aussi été question de traces du camp d’Attila sur la même côte, mais ceci reste encore hypothétique. Plus récemment quelques campagnes de fouilles ont permis d’accroître nos connaissances, non sur l’histoire elle-même, mais tout au moins sur le peuplement de cette région.

Belleau

Alors que nous terminions la fouille de Sivry un cultivateur de Belleau nous signala des tuiles à rebord sous la côte du Buzion. Effectivement dans un terrain de M. Fremez au lieu-dit “ Au Sagnon ” des indices de la présence de substructions antiques affleuraient dans les cultures. En 1967, l’équipe de fouille, avec la bénédiction du directeur des antiquités M. Roger Billoret dont il faut souligner la grande compréhension et les facilités accordées aux bénévoles, était à pied d’oeuvre et mettait au jour une curieuse construction gallo-romaine.

Notons qu’un vieux document porte pour ce secteur la mention “ au Sa ” (ou “ au Fa ”, le S et le F se confondant facilement dans l’écriture ancienne). Il parait cependant bien s’agir de Fa, c’est-à-dire de fanum d’autant plus qu’un autre vieux plan désigne le lieu par le toponyme “ au foné ”. Les petites dimensions de l’édifice, l’absence de cave, d’hypocauste et d’autres éléments propres à une habitation nous confortaient dans l’hypothèse d’un petit temple. Le bâtiment comportait deux pièces contiguës disposées en équerre.



La salle A :

Cette pièce dont le mur N.E. et une partie du dallage en béton avaient disparu, arrachés par les labours mesurait 4 m de largeur et ses murs en appareillage régulier avaient une épaisseur de 0,65 m. Sur le sol nous avons recueilli de nombreux fragments de tuiles plates et creuses, des clous de charpente et des fragments d’enduit peint.

La salle B :

Mesurant 6,00 x 4,50 m elle était située à 0,75 m plus bas que la précédante et s’ouvrait par une porte de 1,20 m de largeur. Le mur Sud conservait, à 1 m de hauteur, les restes d’une corniche en pierre débordant de 0,10 m. Sur les murs Nord-Sud et Est des fragments d’enduit gris bleu étaient encore en place. Le sol avait la même couleur et un “ congé ” de 3 cm de rayon raccordait la dalle aux murs.
Mieux conservé l’enduit du mur Est présentait un décor peint géométrique fait de 3 panneaux rectangulaires gris bleu bordés de jaune sur fond lie de vin. De nombreux fragments d’enduit de couleurs et de modèles divers gisaient sur le sol.
En l’absence de tout objet usuel (sauf une coupe en pierre incomplète) nous avions bien l’impression d’être en présence d’un petit temple composé d’une salle cultuelle et d’une pièce “ de service ”. Contre le mur Est de la salle B subsistait un petit dallage en brique plate, mesurant 0,60 m x 0,65 faisant penser à un socle plus qu’à un foyer (aucune trace de feu).
Mais à quelle divinité ce fanum, pouvait-il être consacré ? La question est restée sans réponse. Le Mercure signalé au XIX e siècle dans les environs ne provenait pas forcément du temple et le fragment d’enduit mural portant un graffite mystérieux nous a laissés perplexes. Les derniers signes peuvent se lire Isis. S’agirait-il de la déesse égyptienne dont le culte fut réellement célébré en quelques lieux de la Gaule ? Le Mercure sur cette voie commerciale répondrait mieux à la logique de l’époque mais trop de preuves manquent pour établir une certitude. Le mystère demeure.
Il convient d’ajouter à ces différentes découvertes des témoins d’une certaine industrie métallurgique ancienne attestée par la présence de scories ferreuses dans un terrain parsemé de tégulae, entre les monts Toulon et Saint-Jean, et par un lieu-dit “ La Prairie de Ferrière ” entre Bratte et Sivry.

Moivrons

A propos de deux anciens titres des années 757 et 914 concernant ce village Henri Lepage signale qu’il était placé à la limite du Saunois et du Scarponois. Sur les déclarations d’un cultivateur, en octobre 1966, fut entreprise par l’équipe d’archéologues bénévole de Pompey une fouille (au lieu-dit “ Les Huit Journeaux ”) qui mit au jour les fondations d’un petit bâtiment carré de 4,60 m de côté. Les murs épais de 0,90 m, encadraient un sol en béton romain (sable, chaux et brique pilée). Dans un angle une modeste plate-forme en brique posée de champ rappelait la présence d’un âtre de cheminée au droit duquel, à l’extérieur, une petite fosse contenait de la cendre noire mêlée à des tessons de poterie, à des fragments d’objets métalliques (fer et bronze) et à des débris d’os.
La destination de cette construction gallo-romaine n’a pas été fermement élucidée. On peut penser :
a) compte tenu de son emplacement dominant la montée du chemin romain, à une simple tour de guet d’où la vue portait au loin, vers l’est et la Seille. En outre l’épaisseur des murailles laisse supposer une construction assez haute,
b) à un petit fanum (temple) édifié à proximité du col,
c) à l’annexe d’une ville proche attestée par un terrain parsemé de tuiles plates et déjà signalé par Beaupré. Les circonstances n’ont pas permis alors d’étendre les recherches à ce champ pour en savoir plus.
Pour la petite histoire rappelons que cette fouille aurait pu mal se terminer. En effet, un habitant de Moivrons sortant de sa maison aperçut (mal) des silhouettes s’agitant sur la crête et crut bon d’alerter des voisins chasseurs en leur criant : “ il y a des sangliers là-haut ! ” Nos Nemrods saisissant leurs fusils se dirigèrent vers nous lorsque l’un d’eux regardant avec ses jumelles s’écria : “ Arrêtez les gars c’est pas des sangliers ! ”. Ainsi nous évitâmes quelques plombs mal placés !

Sivry

Cependant grâce aux indications d’un autre cultivateur, M. Rousselot, nous étions amenés en 1966, à pratiquer des sondages dans un grand terrain labouré au lieu-dit “ La Tête de Villers ” (toponyme formé avec le mot villa comme “ Le Pré sous la ville ” à Moivrons) sur le ban de la commune de Sivry (notons qu’à Saint-Dié un site alors en cours de fouille se nomme “ La Tête du Villé ”). Le relief forme une petite croupe arrondie au flanc du Mont Saint-Jean, encadrée par deux dépressions où jaillissent des sources. L’une d’elles est appelée “ Fontaine des Aulnes ” mais dans la tradition orale “ Fontaine des ruines ”. Le site domine la route de Moivrons-Sivry qui descend du col et fut parfois nommée chaussée Brunehaut ou chemin des Romains. Des origines et du passé de Sivry nous ne savons que peu de choses. Le village fut appelé jadis SEVEREY - SEVERY ou SIVEREY et A. Martin, dans une étude sur les noms de lieu lui attribue comme origine la forme latine SEVERIACUS.
Sur le flanc nord du Mont Saint-Jean, on a découvert, en 1858, un cercueil de pierre contenant des ossements. Après l’époque gallo-romaine un nouvel habitat se forma aux environs des ruines de la villa et c’est pourquoi les soldats du 335 e RI qui creusaient des tranchées dans ce secteur, découvrirent en 1915, des sépultures en forme de caisson de pierre calcaire où gisaient les restes de guerriers barbares avec armes, bijoux et vases. M. Gourichon fit un rapport de ces découvertes dans le journal de l’Association pour l’avancement des Sciences. - Congrès de Strasbourg 1921 - (Mais l’emplacement de cette nécropole n’a pas encore été retrouvé), et data une des sépultures du V e s. Il semblait que les tombes de personnages importants voisinaient avec d’humbles sépultures ne contenant aucun mobilier. Nous ignorons le nombre des tombeaux fouillés et Gourichon pensait qu’il n’en restait probablement d’autres à découvrir.

LES FOUILLES :

En Août 1966, une visite sur les lieux nous confirme la présence de tessons de poterie gallo-romaine et de tégulae. Le 27, un premier sondage dégage des substructions peu profondes. Les fouilles se poursuivent en septembre, octobre, novembre et décembre 1966, puis au début de l’année 67, et peu à peu, se dessine le plan de l’habitat.

Malgré des conditions météorologiques souvent mauvaises, la petite équipe poursuit l’exploration. Peu à peu nous mettons au jour les vestiges des murs et des dallages. Enfin la villa est entièrement circonscrite et un plan complet peut être relevé avant que l’obligation de reboucher et de remettre le terrain en état ne marque la fin de cette intéressante fouille archéologique. Du fait de la légère pente du terrain, les ruines fortements recouvertes du Mt St-Jean, sont presque à fleur de sol vers le bas où le soc de la charrue les a déjà beaucoup détériorées. De même, les murs côté nord ont conservé plusieurs assises de moellons bien appareillés tandis qu’au sud on ne rencontre plus que le lit de fondation ou un hérisson de base.



Les premières fouilles ont dégagé une partie de l’habitat chauffée par un hypocauste dont il subsistait des vestiges de pilettes et d’une fosse desservant les deux foyers. De nombreux tessons de conduits de chaleur (tubuli) gisaient à côté d’une planche calcinée. L’espace B était probablement l’emplacement d’une petite piscine. A l’ouest de cet ensemble nos travaux mirent au jour une grande pièce (G) de 18 m x 10 m qui a pu servir à l’exploitation agricole (écurie ou grange) augmentée d’une annexe (J) de 9 m x 5 m. Côté sud, dans une grande pièce partagée en deux parties (I et H) subsistait 3 marches d’escalier accédant à une fosse très délabrée et difficilement identifiable (N). Peut-être une cave, remplie de déblais, de tuiles et de tessons de poterie. Enfin deux autres pièces, L et K précédant la partie chauffée et très dégradées n’ont pu être définies exactement. L’ensemble couvrait 460 m2 environ.

Notons que la fouille de la pièce A a révélé la présence de deux squelettes (adulte et enfant) inhumés sur les murs donc après desctruction de la villa. Ils appartenaient probablement à la même population que celle de la nécropole découverte en 1915.

Mobilier archéologique :

Nous ne pouvons en donner ici la liste détaillée mais souligner la variété du matériel recueilli. La poterie comporte quelques pièces intéressantes : coupe, saladier-râpe, terrines, vases à décors de la Madeleine, à décor animalier d’Argonne, à dépressions ou peints, cruches, amphore, moule à fromage blanc (faisselle).

Objets divers : clous, clefs en fer, épingles en os, coin à fendre le bois, gouges et deux pièces de monnaie dont un Antonin (II e siècle).

Restes alimentaires : os de bovidés et de porcins, défenses de sanglier et coquillages.

Eléments de décoration de l’habitat : fragments d’enduit peint où dominent le rouge et les motifs géométriques, plaquettes de porphyre, moulures faites de plâtre et de paille.

Villers-les-Moivrons

Nous ne saurions terminer ce tour d’horizon archéologique sans faire mention d’un site très proche de la région étudiée mais fouillé tardivement lors de travaux de recaptage d’une source ancienne alimentant le village de Villers-les-Moivrons. Il s’agissait pour la commune de rétablir, avec des matériaux modernes, la vieille alimentation en eau. Nos interventions ont eu lieu en deux temps (1971 et 1980) mais, de toute façon trop tard, pour faire des recherches méthodiques sur un terrain déjà bouleversé par les engins mécaniques et sur lequel, depuis longtemps, des “ amateurs ” s’étaient servis incognito.

Les fouilles furent conduites autour du captage moderne formé d’anneaux en ciment et couvert d’une trappe métallique (d’où partent des conduits neufs). La source elle-même avait donc disparu. Nos travaux consistèrent à creuser le terrain sur environ 50 m2 et à rechercher des objets dispersés et non enlevés. Outre quelques tuiles plates, clous et morceaux de sépultures, plus de 550 monnaies et des objets d’offrande rituelle furent recueillis. Nous avions bien affaire à un sanctuaire de source composé probablement d’un petit édifice couvrant la sortie de l’eau et d’un bassin sacré dans lequel les pèlerins gaulois jetaient leurs offrandes.

L’études des 336 monnaies identifiables (sur 558) montre que la fréquentation du sanctuaire se poursuivit très longtemps puisque les pièces datées vont des Leuques au milieu du IV e siècle (Gratien + 383) presque sans interruption.

Parmi les petits objets votifs figuraient des fibules (agrafes), des anneaux en os et un cygne en plomb (allusion à Léda séduite par Jupiter transformé en cygne ?...). Les éléments de scultpure sont des fragments d’architecture ou de stèle et des têtes de personnages gaulois dont l’un porte une sorte de Bonnet phrygien à l’envers.



Quoiqu’il en soit rien ne nous permet ici encore de connaître la divinité qui régnait sur le site. Le lieu-dit actuel est “ La Croix ”, signe qu’un petit calvaire a dû succéder au monument païen après la destruction de celui-ci (et l’un des fragments de pierre paraît plutôt médiéval que gallo-romain).

Cette petite vallée de la Natagne (agne = eau) où, à Belleau des vestiges de l’âge de pierre (7 crânes et des foyers) ont été extraits en 1895, fera sans doute encore l’objet d’autres découvertes archéologiques mais il nous paraissait intéressant de rappeler son rôle de liaison entre les deux régions économiques comme d’exposer l’état de nos connaissances actuelles sur son peuplement antique. Son patrimoine médiéval est mieux connu puisqu’encore présent et visible (églises romanes de Morey et de Landremont, maisons fortes de Bratte et de Villers-le-Prud’homme, châteaux de Morey et de Ville-au-Val) malgré la disparition de vieux moulins à eaux (dont l’un cité en 1359), sous Morey, ou à vent à la côte de Blaine et à Bratte, du dépôt à sel de Belleau et du château de Toulon.

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